• Le cap de l'espérance

    Pour le défi des croqueurs de mots proposé par Hauteclaire  , légendes de mer, quelques mots, une petite légende pour Mireille.



    Pierre était un vieux loup de mer qui avait sillonné les océans sur toutes sortes d’embarcations. Il était rompu aux embruns et ne craignait aucun voyage. Pourtant, ce jour-là, tandis qu’il errait sur les quais, il avait peur.

    Non loin de lui, tous s’affairaient pour préparer L’hirondelle qui devait faire route, ce matin même, pour Madagascar. Les vivres et les marchandises étaient menées à bord, l’équipage pratiquement au complet. C’est dans cette brume humaine qu’il les vit, deux fines silhouettes qui marchaient en une parfaite harmonie, deux mousses fiers d’avancer sur les traces de leur père. Ils ne l’aperçurent pas, pâle, tremblant d’angoisse. Lorsqu’ils furent sur le pont, il crut s’évanouir et s’assit sur un banc.

    Ce n’était pas sa sédentarité actuelle qui avait rendu Pierre plus faible mais sa connaissance. Il savait la réputation du Cap de Bonne Espérance, les mots de la légende. Il savait leur jeunesse. Il avait essayé de les dissuader d’embarquer mais rien n’y avait fait, ni ses récits terribles de vieux marins ni les larmes de leur mère. Paul et Pascal étaient dans la fièvre de ce voyage-là et la légende accentuait leur désir d’aventure.

    Lorsque les voiles de la goélette ne furent plus que de petits points lumineux à l’horizon, le père se mit à prier.

    Les deux garçons, quant à eux, avaient été aussitôt adoptés par l’équipage, non seulement à cause de la renommée de leur père mais aussi de leur grande disponibilité. Ils étaient là, à chaque instant, pour tous. Ils étaient là, toujours ensemble. Si le capitaine appelait Paul, aussitôt Pascal accourait avec lui et il finit par se résoudre à leur donner des tâches communes, résolution d’autant plus facile qu’ils apportaient avec eux la jeunesse et la bonne humeur.

    Au fil du vol de L’hirondelle, qui épousait les flots comme le lierre l’arbre, les jours, les semaines pouvaient presque paraître monotones et l’équipage sembler entrer dans un rouage lissé s’il n’y avait eu ces soirées quasi théâtrales durant lesquelles les deux frères racontaient les voyages de leur père. A ce moment, tous, même le capitaine, se taisaient. Et ceux qui étaient de quart regrettaient bien leur service, tendant l’oreille pour accueillir quelques mots.

    Puis vint le moment où la goélette fit route vers la légende.

    A peine l’aube s’était-elle levée que les flots rugissaient. Ils n’étaient plus de mer ; portés par les vents, ils soufflaient des odeurs d’enfer. Le capitaine frémit à cette vision. Il n’aurait pas le choix. Le navire progressait péniblement et l’océan hurlait. Il hurlait, réclamait son sacrifice pour que l’équipage puisse passer le cap. Il fallait jeter à la mer le plus jeune d’entre eux, si L’hirondelle voulait poursuivre son chemin. Alors, le capitaine s’enferma dans sa cabine, consulta ses registres et tourna en rond de longues heures durant. Parmi eux, aucun n’était plus jeune qu’un autre. Le plus jeune qu’il avait embarqué était deux : Paul et Pascal, les jumeaux, ceux qu’il avait appris à aimer. Qui offrir ?

    Il alla les trouver, leur expliqua la situation. Les deux frères se regardèrent longuement. Il n’était pas question que l’un puisse quitter l’autre.

    Tandis que le jour s’achevait, un canot de sauvetage fut délicatement posé sur les flots soudain effrayés par cette gémellité. Comme si les vagues avançant de paires accueillaient un miroir. Plus un hurlement n’était perceptible. Contre la frêle embarcation seule semblait se dire un murmure. La goélette aussitôt baissa ses voiles, laissant passer devant elle ce petit esquif.

    Quelque part, dans l’obscurité d’une maison blanchie à la chaux, deux cœurs se mirent à respirer.

     

    Anne Le Sonneur

     


  • Commentaires

    18
    iris
    Mardi 25 Décembre 2012 à 23:52

    L'homme ne maîtrise pas la nature. Il doit apprendre à la connaître, à se laisser guider par elle. Par le courage, l'entraide et la compréhension il peut parvenir non pas à la dompter mais à vivre en harmonie avec elle.

    Quel beau lien entre les deux frères avec cette part de fusion et de mystère que contient la gémellité !

    17
    Lundi 11 Avril 2011 à 21:32

    L'amour de deux jumeaux qui sauve un équipage. Le miroir n'est qu'amour de soi, au-delà il y a le visage de l'autre

    16
    Lundi 11 Avril 2011 à 17:31

    Une narration qui mène loin dans l'océan des sentiments. Et malgré le drame, l'amour au-delà du miroir...Suzâme

    15
    Vendredi 8 Avril 2011 à 18:32

    Une parabole ?! Merci, Catheau, pour votre regard posé sur ces mots murmurés, ce souffle accueilli.

    14
    Jeudi 7 Avril 2011 à 20:58

    Etre dans l'écoute du coeur...

    13
    Jeudi 7 Avril 2011 à 20:57

    Bonsoir hauteclaire, tu nous auras offert un très  beau thème, un de ces thèmes qui me portent. Merci à toi ! Bisous

    12
    Mercredi 6 Avril 2011 à 19:02

    Oui, une légende à lui tout seul. J'ai osé m'y frotter et j'en reviens trempée... Merci pour tes mots sur ce récit. Belle soirée. Bises. Annr

    11
    Mercredi 6 Avril 2011 à 16:45

    Je suis heureuse qu'elle t'ait plu, Quichotine. Et tous sont sauvés, la route ouverte par la frêle embarcation. Un grand merci pour tes mots.

    10
    Mercredi 6 Avril 2011 à 16:43

    Oh ! Merci capitaine ! Alors, promis ? Vous ne nous jetez pas par-dessus bord, l'accordeur et moi ??? Ouf !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

    Passe une très belle fin de semaine. Gros bisous

    9
    Mercredi 6 Avril 2011 à 16:13

    Les jumeaux, moussaillons, te remercient pour ces mots, Rose. Bises. Anne

    8
    Mercredi 6 Avril 2011 à 15:02

    Ces liens paternel et fraternel m'ont transportée dans l'écriture. Il n'y avait plus qu'à suivre la plume...

    Je pars travailler pour toi. A plus tard.

    7
    Mercredi 6 Avril 2011 à 00:36

    Quand la tempête n'a pas le cœur de prende trop les flots se calment...

    Un très joli conte.

    6
    Mercredi 6 Avril 2011 à 00:34

    Bonsoir Anne,

    une légende magnifique, entre mer et amour familial.
    Une affection si forte, et un sacrifice si accepté que les flots eux-mêmes s'en trouvent apaisés.
    Merci pour cette nuit de navigation qui fait vibrer les coeurs et resonnera longtemps

    Gros bisous.

    5
    Mardi 5 Avril 2011 à 10:36

    Les tempêtes apaisées par la fraternité : une parabole pleine d'enseignements.

    4
    Mardi 5 Avril 2011 à 09:42

    Merci pour cette belle histoire, Anne... J'ai adoré !

     

    Et comme je suis contente que leur dévouement et leur amour fraternel ait pu réussir à calmer les flots !

     

    J'aime penser qu'ils ont tous été sauvé grâce à eux...

     

    La chute de ton conte me plaît infiniment. Magie des liens qui existent, si forts, entre des parents et leurs enfants au loin !

    3
    Mardi 5 Avril 2011 à 00:49

    Anne.... c'est une merveille que l'accordeur de mots ne pouvait mieux harmoniser... la légende, la mer, les jumeaux qui font souvent partie intégrante des histoires les plus fabuleuses ... je suis sous le charme comme la mer assagie !! je pars rêver de tes voyages futurs à offrir ... bizzzoux de nuit , j'éteins le phare les matelots sont presque tous rentrés !!

    2
    Lundi 4 Avril 2011 à 23:11

    Le Cap de Bonne Espérance! Une légende à lui tout seul... Quelle responsabilité que celle d'un capitaine! Beauté de l'amour, mystère de la mer et le murmure encore... Bises. Mireille

    1
    Lundi 4 Avril 2011 à 22:19

    La magie de la gémellité!!!

    Bises

    Rose

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