Au bout de quelques heures, tandis que les premières lueurs matinales percent à travers un brouillard épais, Jojo arrive à la sortie de la ville. Devant lui s’étend une vaste campagne encore endormie. Le petit escargot est tout surpris de cette grande étendue que rien ne semble interrompre. Devant lui, tout est infiniment plat et vert. Tout sauf le ciel qui se teinte d’un rose doux comme une caresse, fin comme un voile et léger comme un sourire.

Jojo est tout heureux de découvrir un tel paysage. Lui qui vivait au milieu d’un terrain vague tout gris, plein de bitume et de fil de fer, jonché de tôles et de déchets en tous genres. Bien sûr, avec tant d’objets aussi étranges qu’inutiles il pouvait s’inventer un monde rempli d’imagination mais cet univers restait terne et le retour à son environnement était parfois difficile. Devant lui, c’est tout l’inverse. La grisaille a cédé la place à une verdure de plus en plus lumineuse, la ferraille s’est évanouie au profit d’une végétation souple, qui flotte au rythme de la brise du petit matin.

La joie au cœur, le petit escargot poursuit son chemin, marchant sur le bas côté, sur cette lisière entre la route – trop dangereuse pour lui – et l’herbe encore toute mouillée de la rosée matinale et qui l’empêche d’avancer. Tandis qu’il progresse, il hume l’air frais et pur, observe les alentours. Dans l’herbe, des sauterelles s’étirent qui s’éveillent doucement. Quelques araignées, mal lunées, ronchonnent dans leur coin. Elles auraient bien dormi davantage mais la grasse matinée n’existe pas pour les petits insectes.

Un scarabée, bien sympathique, offre à Jojo quelques brindilles toutes vertes qu’il s’empresse d’avaler pour reprendre des forces. Oh ! tout est si merveilleux dans ce pays, qu’il se demande s’il ne rêve pas. Alors, Jojo frotte ses tentacules, ferme les yeux puis les rouvre. Non, non ! C’est bien réel ! Pour sûr, il n’est pas là de rentrer chez lui ! Et, tout revigoré par la verdure, il accélère le pas.

Tandis qu’un village se dessine au loin, comme suspendu au cou d’une colline, Jojo continue son errance à travers la campagne. Quelques instants plus tard, il rencontre une belle rainette toute verte elle aussi. Il la trouve très élégante, dans sa robe plus lumineuse que les prés. Elle est, en plus, très agile, allant d’un côté à l’autre du chemin dans un bond majestueux. On dirait une gymnaste qui remporterait toutes les médailles. Jojo se souvient alors de certains enfants de la ville qui venaient s’entraîner sur son terrain vague et qui paraissaient, comme elle, montés sur des ressorts, tant leurs jeux nécessitaient de souplesse et d’adresse.

Il s’avance vers la rainette.

« Bonjour, petite grenouille, lui dit-il timidement.

- Quelle drôle de bestiole que voilà ! s’exclame la rainette, sans vraiment porter attention à lui. De quel pays es-tu, pour être si terne ?

- Je viens de l’autre côté de la plaine, répond le petit escargot.

- Ça ne m’étonne pas ! grommelle la grenouille. Tu es bien trop gris pour être de chez nous ! Je préfère que tu passes ton chemin, triste sire, affreux Jojo ! »

Et, en quelques sauts, la grenouille lui fausse compagnie. Jojo ne sait que penser de cette rencontre et il se demande si, finalement, il a bien fait de quitter son terrain vague… Elle était belle, pourtant, la petite rainette. Et, en plus, très savante, puisqu’elle a su tout de suite son prénom.

Jojo se sent un peu triste et voudrait rebrousser chemin mais il est trop tard ! Il doit continuer d'explorer la région et ne rentrera que véritablement épuisé. « Peut-être aurai-je plus de chance une prochaine fois, se dit-il pour se donner du courage. Tout le monde n'est pas aussi méprisant que cette grenouille. » Et le voilà qui, un peu rassuré, progresse vers le village...

©Anne Le Sonneur