• Un petit cœur d'escargot (5)

    Un petit coeur d'escargot 2

     

     

    Les journées ainsi s’écoulent entre la joie et les confidences. Pierre est chaque matin plus souriant, méconnaissable pour ses proches. Il ne rentre plus la tête dans les épaules, ne rase plus les murs. Il n’a plus peur de s’aventurer au loin, cachant soigneusement le petit escargot dans sa poche, et passe des après-midis entiers sur les chemins.

    Un soir, Pierre, avant de se coucher, jette un coup d’œil par la fenêtre. Il aperçoit son grand frère et, aussitôt, ne peut s’empêcher de frissonner.

    « N’aie pas peur, lui dit Jojo.

    - Comment fais-tu, toi qui es plus petit qu’une pomme, pour savoir ce que j’éprouve ? demande Pierre en se retournant vers lui. Du haut de ta petite maison, tu lis dans le cœur des hommes ?

    - J’ai juste un cœur aussi tendre que le beurre. Alors, il perçoit tout ce qui vous fait trembler ou vous fait rire.

    - Ah bon ! tu as aussi ce pouvoir-là ? s’étonne l’enfant. Ton cœur doit être aussi gros que ta coquille, alors ! Tu sais, j’aimerais savoir aimer comme toi mais Théo n’est heureux que s’il me veut pleurer et il me mène la vie dure. Toi, tu n’en veux jamais à ceux qui se moquent de toi ! Pourquoi ? Même la grenouille, tu ne lui en veux pas ! Comment fais-tu, petit Jojo ?

    - J’ouvre mes yeux et je laisser s’exprimer mon cœur, reprend Jojo. Mais, tu sais, cela n’a pas toujours été le cas. Avant, je vivais dans une ville toute grise, toute triste et je crois que sa couleur avait fini par déteindre sur mon cœur. Aussi, un soir, j’ai décidé de la quitter. Depuis, j’ouvre les yeux sur tout ce que le jour m’apporte. Je me sens léger de ce que la nature m’offre. Et mon cœur a retrouvé toutes ses couleurs. Un cœur, Pierre, c’est fait pour aimer toutes les fleurs et leurs épines, si elles en ont, et leur poison, si elles en font. Je les aime juste comme elles sont. Toutes les herbes et leur douceur, leur fraîcheur.

    Tu dis que je suis petit mais de ma hauteur je vois le monde autrement. Bien sûr, je le vois petitement et pourtant, il me paraît très grand. C’est cette grandeur-là que je veux aimer, que je veux préserver. Quand vient le jour, aussitôt mes yeux s’écarquillent. Lorsque j’observe ne serait-ce qu’une brindille, je me dis que le monde est beau. Tout me semble magique qui s’élève vers le ciel. Et cette beauté-là, peu de gens la connaissent. Pour vous, votre tête vous paraît déjà céleste, parce qu’elle est loin de vos pieds, parce qu’il vous faut, pour les apercevoir, vous courber. Les escargots, quant à eux, sont horizontaux. Il leur faut dresser les antennes pour sentir un soupçon d’élévation, et encore à peine. Ce que nous ressentons, à ras du sol, est un tout autre envol, qui naît du cœur et non de la hauteur. Nous savons que jamais nous n’arriverons à la cime d’une brindille mais nous savons aussi qu’un soleil qui brille, que la danse d’une fleur, bercée par le vent, suffisent à nous enchanter, à nous faire rêver.

    Pierre, toi aussi tu as ce cœur-là mais tu ne l’entends pas toujours. Apprends à écouter et tu seras toujours dans la joie. Ne laisse personne te l’ôter, ne laisse personne te désespérer et tu sauras toujours aimer, toujours pardonner. Parce qu’au-delà de la peine que tu pourras éprouver, il y aura toujours, dans l’ombre d’une feuille, le long d’une branche qui frémit, un regard qui t’attend, un être qui te sourit. Le tonnerre, la colère font du bruit, c’est vrai. Mais au plus profond du silence, de ce qui te semble indifférence, l’amour lui ! »

    Pierre regarde ce petit escargot, que certains ne trouvent pas beau, et il l’écoute attentivement, sans un mot, tant il comprend ce qu’il lui dit. Puis, tous deux s’endorment, tandis que la lune veille, déposant sur leurs rêves son doux voile laiteux. Demain sera un autre jour et Pierre n’en a plus peur.

    Le lendemain, Pierre descend l’escalier et se dirige vers le jardin. A peine a-t-il franchi la porte d’entrée, qu’il se trouve nez à nez avec son frère.

    « Où est-il ton asticot, ton affreux escargot, qu’on en fasse de la purée, de la chair à pâté ? lui crie Théo tout énervé.

    - Pourquoi ? Que vous a-t-il fait ? demande Pierre timidement.

    - Rien et tout ! Tu ne t’intéresse même plus à nous ! Tu n’es même plus dans nos pattes, toujours à nous embêter ! Il n’y a plus que lui qui compte !

    - Je croyais qu’ainsi je vous laissais tranquille, que vous respiriez un peu sans moi ! »

    Son grand frère se trouve tout gêné et s’en veut de tant de taquineries. Il le regarde et Pierre, pour la première fois, voit dans ses yeux de la peine. Est-ce donc qu’il l’aime sans jamais le montrer ? L’enfant se rappelle les paroles de Jojo et sourit. Théo croit qu’il se moque de lui mais n’a pas envie de se mettre en colère. Quelque chose, en lui, a changé…

    Quelque part, dissimulé dans l'herbe, le petit escargot sourit aussi.

     

     

    Un petit coeur d'escargot

     

     

    ©Anne Le Sonneur


  • Commentaires

    11
    Mercredi 31 Août 2011 à 22:50

    L'avantage de la plume. Elle semble comme un coup de pinceau, savoir tout faire renaître. Le pardon n'est-il pas l'essentiel ?

    10
    Mercredi 31 Août 2011 à 22:42

    J'y songe...

    9
    Mardi 30 Août 2011 à 18:04

    Tu me touches, Suzâme. Jojo ne voulait pas te faire pleurer. Bien amicalement à toi

    8
    Lundi 29 Août 2011 à 23:02
    j'aime Jojo qui aime aimer. Il accepte d'être gris sans jamais être grisé. Avant de lire cette belle histoire, j'ignorais que coulerait sur ma joue de grand-mère, une petite larme du soir, une petite larme d'enfant. Amitiés. Suzâme
    7
    Lundi 29 Août 2011 à 00:28

    Le petit escargot nous montre ce qu'est un vrai coeur, celui qui apporte la joie. Je souris avec lui et le coeur est content.

    Merci Anne pour ce chemin parcouru avec lui

    Gros bisous

    6
    Dimanche 28 Août 2011 à 11:14

    Bien sûr qu'il peut y avoir d'autres voyages. La vie peut être longue.

    Et j'attendrai.

    5
    Dimanche 28 Août 2011 à 02:19

    Si seulement les choses pouvaient se transformer aussi vite ce serait merveilleux, mais pourquoi pas, après tout, au monde des contes, tout est possible et le message suit son petit bonhomme de chemin. Jojo est un sage.  Amitiés

    4
    Samedi 27 Août 2011 à 23:14

    Ce récit s'achevait là, Monelle, s'ouvrant sur d'autres voyages, sur ces coeurs ouverts et laissant le lecteur libre d'une suite. Jojo reprendra peut-être la plume bientôt. Bisous

    3
    Samedi 27 Août 2011 à 23:11

    C'est en effet la fin, Pimprenelle, peut-être la fin d'un premier voyage, d'une première rencontre, pour que les couleurs se disent en chaque coeur. Je suis heureuse que cela te fasse du bien. C'est moi qui te remercie.

    2
    Samedi 27 Août 2011 à 21:56

    La fin, car je suppose que c'est une fin, de ton histoire est venue se greffer sur un courriel que je venais de recevoir.

    Le collier de perles bleues, grises et vertes a cassé. Elles ont roulées. Et cela a fait du bien. Merci Anne.

    1
    Samedi 27 Août 2011 à 20:32

    Comme je ne suis plus une petite fille (hélas !) et je viens de lire les chapitres 3-4 et 5, et j'aime l'évolution de ton petit escargot parleur, j'attends la suite tout en la devinant un petit peu... à moins que ???

    Bisous Anne

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