• Un nouveau métier, thème proposé par ABC pour la COMMUNAUTE CROQUEURS DE MOTS

     

    Lorsque j’étais enfant, je voulais partir rejoindre cet homme, là-haut, pour qu’il m’apprenne à allumer les réverbères. Mais, très vite, je compris que des réverbères, il n’y en avait plus guère. Je continuais d’avancer, la tête dans les étoiles – ce qui me valut de rencontrer plus d’un lampadaire. Plus tard, je décidais d’allumer autrement quelques petites lumières…

    Pourtant, je ne vais pas vous parler de ce métier mais de celui qu’exerce un petit homme dont je fis la connaissance il y a quelque temps. Lorsque je le vis pour la première fois, il marchait d’un pas rapide. Si ses jambes annonçaient l’empressement de sa tâche, comme beaucoup à cette heure matinale, son visage, quant à lui, irradiait d’une joyeuse quiétude. Je m’arrêtais à sa hauteur et lui demandais, tout simplement (il paraissait aspirer à cette simplicité), ce qui ainsi le portait. « Mon métier, Madame, mon métier. »

    A son allure élégante, je l’imaginais déjà musicien et lui en fis part. « Dans l’âme, forcément, poursuivit-il, tout en marchant. Mais, en vérité, je suis accordeur. » Et les violons, les contrebasses, les pianos défilaient sous mes yeux, les fines mains de l’homme libérant d’un geste sûr et délicat des notes enchanteresses.

    « Oh ! Vous vous trompez ! Je suis accordeur… de mots. Je vais de l’enfant timide au plus capricieux, délivrant l’un, adoucissant l’autre. Je souffle quelques vers à l’amoureux si transi qu’il en était tout muet. J’accours près d’un couple en bataille, leur apportant les lignes de la paix et chuchote quelques phrases à la vieille dame assise sur ce banc, là-bas. Pour réussir dans le métier, il faut être souple pour s’arquer de l’un à l’autre, pour éviter parfois, il est vrai, quelques réactions qui ne nous sont pas destinées. Il faut avoir les mots à fleur de peau, savoir les mâcher avant de les choisir, puis les offrir, comme négligemment ; il est bon que l’homme croie être maître au royaume des mots. Pour vous servir, finit-il par me dire, en me laissant sa carte. »

    Depuis, je vous l’avoue, comme je scribouille un peu, nous nous voyons souvent tous les deux ; il m’est devenu précieux.

     

    Anne Le Sonneur

     


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